Rencontre avec Caroline Chabaud, ou l’art de publier des livres adaptés et tactiles

Dans la vie, rien n’est impossible, surtout pour Caroline Chabaud, fondatrice de Mes Mains en Or, maison d’édition dédiée à la publication de livres adaptés et tactiles pour les enfants malvoyants, aveugles ou avec une déficience intellectuelle.

Parce que sa fille a perdu la vue à la suite d’une maladie, Caroline a confectionné des livres adaptés afin qu’elle puisse accéder à la lecture, comme les autres enfants.

Quinze années ont passé depuis les débuts de cette aventure et depuis, Caroline a développé son catalogue de publications. Elle forme également les bibliothèques à l’accueil des publics en situation de handicap.

Rencontre avec cette professionnelle qui, après une carrière dans la pharmacie, a tout appris du métier, des rouages de l’édition à la conception de livres pas comme les autres. 

C’est sûr, Caroline a des mains, mais aussi un cœur en or !

Caroline Chabaud, fondatrice de Mes Mains en Or

Caroline, comment a commencé l’aventure de Mes Mains en or ?

Tout a commencé par une histoire personnelle : il y a quinze ans, ma fille a perdu la vue suite à un cancer de la rétine et j’ai cherché des livres adaptés pour elle, mais je n’ai trouvé que très peu de choses.

Pour moi, le livre est important, voire essentiel, dans le développement d’un enfant. Alors, je me suis intéressée, passionnée pour la réalisation de livres adaptés à son handicap. Et j’ai compris qu’il n’allait pas juste falloir coller des morceaux de matière dans un livre, mais que c’était beaucoup plus complexe…

A l’époque, je venais du secteur de la pharmacie, donc rien à voir ! J’ai découvert à la fois le milieu du handicap et celui du livre, de l’édition et des imprimeurs.

Au départ, on était une association, puis on est devenu une maison d’édition au bout de trois ou quatre ans. J’ai eu la chance de recevoir pendant huit années des aides de la région, ce qui a permis de déployer certains projets.

📚 Mes Mains en Or, c’est…

📙 2010 : création de l’association Mes Mains en Or, qui crée et adapte des histoires, souvent illustrées, afin de les rendre accessibles aux enfants déficients visuels et aux jeunes déficients intellectuels.

📙 2014 : l’association devient une maison d’édition associative.

📙 Aujourd’hui : Mes mains en Or, c’est six salariées (une directrice, une chargée de projet-formatrice, une chargée de production, deux graphistes et une responsable administrative) ainsi qu’une vingtaine de bénévoles, qui accueillent régulièrement des stagiaires et des personnes réalisant un service civique. 

📙 Publications : albums tactiles, livres en FALC (Facile à Lire et à Comprendre) et vente d’outils de médiation à la fois pédagogiques, ludiques et culturels. 

📙 2017 : Mes mains en Or œuvre à démocratiser l’accès à la lecture et à la culture aux jeunes en situation de handicap, en travaillant en lien direct avec les bibliothécaires et des chercheurs. 

📙 2022 : Mes Mains en Or développe des kits pédagogiques qui abordent des sujets de santé (la vie affective, intime et sexuelle, l’estime de soi et la gestion des émotions). Ces ouvrages sont réalisés avec la collaboration de professionnel·le·s du médico-social et des jeunes en situation de handicap. 

Les collections développées par Mes Mains en Or

Vous vous souvenez du premier livre que vous avez confectionné pour votre fille ?

Oui, je me souviens que je lui avais adapté un livre de la série des Oui-Oui. Et aussi un autre inspiré d’un livre qu’elle avait, que j’avais appelé L’étoile de mer au fil de l’eau. C’était l’histoire d’une étoile de mer qui découvrait les animaux marins. 

Au départ, c’est donc moi qui bricolais des livres à la main. Et puis un jour, j’ai rencontré une autrice qui m’a mise en relation avec une illustratrice, qui m’a donné des conseils. C’est comme ça que j’ai découvert le milieu de l’édition.

Donc j’ai appris au fur et à mesure. Et je suis passée de livres bricolés à la réalisation de livres plus solides, déclinés en série. Au fil du temps, j’ai développé un atelier de production et toutes les images tactiles de nos livres sont toujours fabriquées ici.

J’ai aussi développé de la formation professionnelle, avec une expertise acquise dans l’accessibilité aux livres pour un public déficient visuel et d’autres types de public, tels que les personnes ayant un trouble du développement intellectuel, les autistes… 

Aujourd’hui, je forme les bibliothèques à l’accueil des publics en situation de handicap, que ce soit les personnes déficientes visuelles ou déficientes intellectuelles. 

Et je propose des formations aussi pour connaître le FALC et savoir le mettre en pratique dans l’accompagnement de ces personnes. 

📚 C’est quoi, le FALC ?

📙 Le FALC utilise des règles spécifiques : l’utilisation de mots simples, la préférence pour des phrases courtes, une mise en page claire (typographie, interlignes, contraste) ou l’utilisation d’images adaptées. 

📙 Les textes en FALC doivent être validés par des personnes ayant une déficience intellectuelle. 

📙 Le FALC permet également à des personnes ayant une déficience intellectuelle d’accéder à la lecture plaisir (fiction, recettes de cuisine, etc.). 

📙 Mes mains en or propose une exposition sur le FALC dans la littérature.

L’intérieur d’un livre adapté : sur la page de gauche, en haut, le texte apparaît en gros caractères, en bas le texte est accessible en braille, et sur la page de droite sont proposées des images tactiles.

Un livre adapté, ça ressemble à quoi ? 

Pour vous donner un exemple, nous proposons un herbier : sur une double page, le texte apparaît en braille pour les personnes aveugles et en gros caractères pour les personnes malvoyantes ou celles qui accompagnent les personnes aveugles dans la lecture. 

Et il y a également des images tactiles, par exemple une feuille ou une plante. Pour obtenir ce rendu, nous avons des machines de découpe. Une fois découpées, on colle tout à la main dans le livre.

Parfois, il peut y avoir de la couture, des montages pour cacher des systèmes… On y retrouve différentes textures, car cette variété est très importante pour la compréhension de l’enfant déficient visuel. 

Et à la fin du livre, il y a aussi un jeu pour apprendre à reconnaître les plantes et les herbes. Des petites étiquettes autocollantes permettent d’interagir avec le livre. 

Couverture et pages intérieures de Mon herbier des fleurs, paru dans la collection Educ’braille

Je vous montre aussi un livre publié chez Milan, intitulé Zizis et Zezettes et écrit par Camille Laurans et illustré par Jess Pauwels. A la base, c’est un tout petit livre et en version adaptée, c’est un gros pavé ! Il est très volumineux, car il y a le texte en braille et en gros caractère. On propose aussi une version audio accessible via un Qrcode et 27 fiches pédagogiques à télécharger. 

Et à la fin du livre, l’enfant peut manipuler plusieurs corps humains, afin de les toucher et de se représenter comment c’est fait.

Couverture, pages intérieures et figurines de Zizis et Zézettes, écrit par Camille Laurans et illustré par Jess Pauwels, paru dans la collection « Les p’tits curieux »

Et combien ça coûte, un livre adapté ? 

Il faut savoir que fabriquer ce type de livre adapté revient très cher, aux alentours de 150 euros. Nous le vendons à 70 euros et au tarif de 25 euros pour les familles adhérentes à notre association qui ont un enfant aveugle. 

On vit donc essentiellement de mécénat, pour nous soutenir dans la réalisation de ces livres qui demandent du matériel et beaucoup de temps de réalisation.

Actuellement, d’ailleurs, nous traversons une période assez critique, car nous sommes impactés de plein fouet par les restrictions des budgets de l’État et par la diminution des dons. Nous faisons face à une vraie difficulté économique. 

Les valeurs de Mes mains en Or

Vous imprimez vos livres à combien d’exemplaires ? 

Nous les produisons à environ 200-250 exemplaires. Malheureusement, il y a une forte demande et on n’arrive pas à produire suffisamment, faute de moyens. 

Nous les vendons principalement aux bibliothèques, aux institutions spécialisées ainsi qu’aux familles.

Nous proposons également du matériel pédagogique pour faire de la sensibilisation sur des sujets tels que l’éducation sexuelle, par exemple. 

Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur les livres en FALC ? 

Les livres en FALC, ce sont des livres faciles à lire et à comprendre, pour aider l’enfant à comprendre ce qu’il lit de façon pédagogique. 

Ils s’adressent à des personnes déficientes intellectuelles ou très éloignées de la lecture, qui peuvent avoir des problèmes cognitifs ou des difficultés de compréhension.  

C’est une méthode d’écriture qui est validée avec les personnes concernées : on co-crée toujours les livres avec elles.

Comme son nom l’indique, c’est donc une méthode qui est facile à lire et à comprendre, car c’est une chose de lire, mais c’en est une autre de comprendre ce que l’on lit.

Par exemple, le livre sur les règles de Anna Roy, Tout sur les règles, paru aux éditions Flammarion Jeunesse et illustré par Mademoiselle Caroline, nous le proposons en édition FALC. Nous l’avons réalisé avec des jeunes femmes déficientes intellectuelles, qui ont validé le contenu. Cela a été un énorme travail. 

Et dans quinze jours, nous allons co-créer un livre en FALC avec des personnes déficientes intellectuelles et la chercheuse Jennifer Fournier, sur la vie affective intime et sexuelle.

Le but est de partir des questions que ce public se pose, afin que le livre soit complètement adapté à leurs besoins et à leur réalité. 

Dans les thématiques que vous choisissez d’adapter, il y a plusieurs livres liés à la sexualité. C’est important pour vous, ce sujet ?

Depuis cinq ans, nous avons développé un projet qui s’appelle “Éduquer pour protéger”. Nous avons mené une étude et co-construit des ressources sur le terrain parce qu’il n’y avait rien sur cette thématique pour un public déficient visuel. 

Nous sommes devenu·e·s des expert·e·s sur le sujet. Nous proposons des formations professionnelles et des interventions sur la vie affective et la déficience visuelle. 

Et même sur le handicap en général, d’ailleurs, car nous nous adaptons à tous les publics. Je collabore notamment avec une chargée de projets spécialisée en vie affective, intime et sexuelle.

Notre mission est d’accompagner les personnes dans l’accès à la lecture et de leur proposer des ressources accessibles. C’est pourquoi nous avons pris le temps de développer des livres adaptés à ces publics spécifiques. 

Couverture et pages intérieures de Tout sur les règles, de Anna Roy : en haut à gauche, se trouve la version FALC, à droite la version braille et images tactiles et en bas la version gros caractères. 

Maintenant que vous m’en parlez, je réalise combien c’est incroyable que jusqu’à maintenant, cela n’existait pas…

Eh oui, jusqu’à présent, ça n’existait pas ! Vous savez, j’ai développé la notice du préservatif et nous proposons des fichiers à télécharger sur notre site en version accessible pour les aveugles. Je suis en train de finaliser la version en FALC, qui pourra rendre service à beaucoup de personnes. 

Même si nous publions des livres plus “classiques”, nous faisons donc le choix de nous orienter sur des thématiques de santé publique, comme la santé sexuelle. Ça prend une part importante dans nos choix éditoriaux. 

Nous menons aussi des projets avec une chercheuse spécialiste des émotions.

📚 Focus sur une co-création dédiée à la beauté

📙 Le livre La beauté dans tous ses états a été écrit et illustré avec la participation de l’association Trisomie 21 Haute-Vienne. Les illustrations et le récit ont été réalisés en co-conception avec l’illustratrice Claire Gaudriot, l’autrice Sandrine-Marie Simon et un groupe d’adultes porteurs de trisomie 21 ou du syndrome de l’X fragile.

📙 Le texte est en FALC et en gros caractères. Il est accompagné d’un cahier de dessin téléchargeable par QR code pour favoriser la réalisation d’ateliers créatifs sur le thème de la beauté.

L’équipe qui a co-créé le livre en FALC La beauté dans tous ses états

Couverture et pages intérieures du livre La beauté dans tous ses états

Et comment ça se passe avec les maisons d’édition quand vous souhaitez adapter un livre ? 

Quand je contacte les maisons d’édition, je les préviens que je bénéficie de l’exception du handicap pour les droits d’auteur·e·s, ce qui me permet de publier tout ce qui n’existe pas sans qu’on puisse me demander quoi que ce soit financièrement.

De toute façon, je n’aurais pas les moyens de payer des droits, parce qu’il s’agit de petites quantités et que l’on vend déjà à perte. Donc, je les informe et généralement, l’éditeur ou l’éditrice et l’auteur·e sont très content·e·s de cette adaptation. 

Vous proposez des livres jusqu’à quel âge ?

Nous proposons des livres pour enfants jusqu’à l’adolescence. Quand ils ou elles sont jeunes adultes, les grands adolescents ou jeunes adultes aveugles lisent en braille numérique sur des plateformes spécialisées de téléchargement de livres.

Ils et elles lisent grâce à des ordinateurs braille. C’est comme un clavier, mais avec un retour braille. Ce qu’on appelle un bloc-notes braille ou une plage braille. 

Il y a notamment l’association Valentin Haüy, qui propose la bibliothèque numérique Eole : cliquez ici pour découvrir cette plateforme.

Nous, nous sommes plus dans l’accès à la lecture, quand l’enfant n’est pas encore autonome. 

Bien sûr, il existe des associations qui ne font que du braille, mais pour nous, c’est important de proposer à un enfant du texte ainsi que des images. 

Un enfant voyant a accès à des contenus avec des images, et pas seulement du texte. Donc nous proposons des livres qui donnent aux enfants déficients visuels un accès à l’image, par le sensoriel. 

Toutes les images proposées dans nos livres sont réfléchies pour les enfants déficients visuels. Ce n’est pas juste une image visuelle que nous mettons en relief. Nous réfléchissons à ce qui a du sens pour l’enfant déficient visuel. 

Nous utilisons donc des images avec beaucoup de texture. Nous ajoutons beaucoup d’informations pour faire vivre une expérience unique avec le livre.

C’est un processus extrêmement complexe à mettre en place, car il y a de nombreuses contraintes de fabrication et une exigence de qualité dans la solidité des livres que nous produisons.

📚 Trois types d’images utilisées dans les livres adaptés

📙 L’image figurative : c’est une image qui représente un personnage, par exemple avec sa tête, son corps, ses bras, ses jambes. 

📙 L’image symbolique : ce type d’images représente un personnage par une forme symbolique (par exemple, la mère est représentée par un rond, le père par un triangle).

📙 L’image haptique : il s’agit d’une image avec un vécu sensoriel. Par exemple, dans un livre où l’on marche sur la neige, nous proposons à l’enfant une image qui va donner l’impression qu’il marche sur la neige quand il passe le doigt dessus. Ça va crisser. C’est une image qui se manipule, qui s’expérimente. Mettre l’image en gaufrage ou en relief, cela n’aurait pas de sens pour l’enfant.

Et quelles sont les étapes de fabrication d’un livre adapté ? 

Ici, nous avons un atelier de production, où les bénévoles viennent nous aider chaque jour à réaliser et à dupliquer les images tactiles qui seront insérées dans nos livres. Nous avons des machines de découpe et nous disposons aussi d’une machine dans un ESAT.

Nos deux graphistes créent la maquette après avoir testé le contenu auprès d’enfants dans des structures spécialisées. 

Pour l’impression du texte en noir, nous travaillons en local avec deux imprimeurs. Nous sommes situés à Limoges, dans un bassin historique d’impression. On a même un lycée professionnel d’imprimerie graphisme ! 

La partie en braille, elle, est imprimée dans un ESAT situé dans le nord de la France.

Donc, c’est imprimé ici en noir et tout ce qui est en braille part dans le Nord, puis revient ici.

Les couvertures cartonnées sont réalisées aussi ici, en local. 

La réalisation d’un livre prend plusieurs mois. Et quand nous avons tout (les pages en braille, les pages en noir et les images tactiles), alors nous passons à l’étape d’assemblage. 

Nous collons tout sur les pages et nous assemblons le tout pour en faire un livre.

Et ça prend combien de temps, en moyenne, pour réaliser un livre ?

Il y a d’abord l’étape de réflexion, de conception, qui prend à peu près deux mois. Après, il y a les tests, les retours de corrections sur les textes, les retours par rapport aux tests utilisateurs et utilisatrices. 

Ensuite, il faut compter quatre à cinq mois de production. Nous avons souvent deux projets en même temps.

💜​ Mes Mains en Or a besoin de votre soutien !

Mes Mains en Or est une maison d’édition associative et elle a besoin de votre soutien ! Si vous le souhaitez, vous pouvez faire un don en cliquant sur ce lien. Tout don ouvre droit à une réduction d’impôt. 

💌​  Retrouvez toutes les parutions et actions de Mes Mains en Or ici. Et retrouvez ici la chaîne Youtube de Mes Mains en Or.

🌹​ Merci à tous et à toutes les bénévoles qui rendent possibles ces créations uniques et participent à l’accès à la lecture et à la connaissance pour tous les publics.

📌 Enregistrez cet article sur Pinterest pour le retrouver plus tard.